Après quelques années d'études à Londres puis à Paris, je suis retourné au Libéria, pays dont je suis originaire. J'y ai séjourné plus d'un an, voulant préparer sur le terrain ma thèse de doctorat en anthropologie. Or ce que j'ai vu et vécu là-bas est absolument terrifiant. Moi qui ai toujours milité jusqu'ici dans des organisations de gauche et tiers-mondistes, vitupérant l'impérialisme et le néo-colonialisme, je crie: AU SECOURS! Ma patrie, l'une des premières nations indépendantes d'Afrique noire (1847), fondée par les "Freemen", pionniers noirs américains idéalistes, partisans du retour des descendants d'esclaves sur la terre de leurs ancêtres est en danger de mort.
Ce pays pauvre et digne
Depuis quelques années, ce pays jusqu'alors pauvre et digne, retourne inexorablement à la sauvagerie, sous la conduite de mauvais bergers complices de sorciers barbares qui ont pris en otage les natives, habitants historiques du pays. En 1985, le sanguinaire général T.Q. tenta de renverser son ami, le président-dictateur Samuel Doe. Abattu par la garde présidentielle, au cours d'une boucherie quasi rituelle, il fut dépecé, et mangé par ses adversaires. Aujourd'hui, dans la région de Harper, près de la frontière de la Côte d'Ivoire, on ne compte plus les crimes de sorcellerie. Les victimes préférées sont les enfants en bas âge, des filles vierges, des femmes enceintes, les bossus, les étudiants réputés pour leur intelligence, ainsi que les hommes connus pour leur force ou leur virilité.
Faire "juju"
On les tue pour faire "juju", c'est-à-dire préparer une cérémonie de magie noire, de sorcellerie ou de vaudou. Ces meurtres sont perpétrés pour fournir aux féticheurs les "parties précieuses", utilisées au cours de ces cérémonies secrètes: principalement paupières, oreilles, lèvres, seins, coeur et organes génitaux. Les hommes sont tués de préférence par pendaison, car cette forme de supplice fait bander et éjaculer la victime. Les sorciers recueillent le sperme du pendu et découpent le sexe avant d'arracher le coeur et d'autres organes.
Meurtres rituels
Le meurtre rituel est une forme nouvelle et magique de conquàte du pouvoir. Il se multiplie à l'approche d'un scrutin électoral. Les coupables sont presque toujours des notables, des politiciens connus, des gens en place qui, avec la complicité de sorciers, désirent éliminer leurs adversaires en s'appropriant leur puissance. Ainsi, il y a quatre ans, le président régional du parti dirigeant, D. C., prédicateur de l'église méthodiste, ancien aide de camp du résident Doe, fut convaincu de meurtre sur la personne de deux jeunes garçons atrocement mutilés.
Une mafia rétrograde
Entraînés par les sorciers et les féticheurs de plus en plus puissants dans le pays, une mafia rétrograde s'est approprié en les déformant, les traditions ancestrales du "juju". Jadis il s'agissait d'un simple rite de protection contre les Gboyo, les esprits maléfiques de la forêt. Les féticheurs traditionnels composaient alors des philtres à l'aide des plantes dont ils connaissaient les vertus, et les sacrifices rituels se limitaient à quelques animaux.
L'initiation
L'initiation des garçons comportait un séjour de sept années dans la forêt sacrée (deux ans pour les filles), avant l'intégration définitive dans leur village, après la circonsition et l'excision, passages obligés à l'âge adulte. Il y a trente ans, quelques rares tribus pratiquaient encore le meurtre rituel ancestral, qui visait à maintenir la cohésion du groupe, chaque famille offrant un de ses membres en sacrifice, afin que tous fussent détenteurs ensemble de ce terrible secret, chacun liant ainsi son sort aux autres.
Aujourd'hui ces meurtres sont devenus des assassinats
Certaines victimes sont assaillies dans leur sommeil, meurent la tête fracassée, d'autres, les jeunes vierges, les femmes enceintes ou les bossus en particulier, très recherchés, sont enlevés par des bandes de véritables trafiquants de chair humaine.
Sur les marchés
Sur les marchés de certaines bourgades du Libéria, comme de tous les pays de cette région, on trouve à côté des plantes médicinales, des pattes de chats, des morceaux de cornes, des serpents séchés, des tarentules, des mygales et des scorpions, de la poudre d'os, des foetus, des sexes séchés et des viscères humains, vendus pour confectionner des gris-gris.
Il avoue le meurtre de 13 personnes...
Abar Temko, un féticheur de Voinjama, avoua le meurtre de treize personnes dont il avait consommé ou vendu les "parties précieuses". La police retrouva les enregistrements de ses mises à mort rituelles, qui prouvaient que la plupart de ses victimes étaient consentantes. Ondo Ndong, un homme cultivé, venu consulter ce sorcier pour une sordide affaire de famille, se vit offrir de l'iboga, une racine hallucinogène du Gabon. Sous l'effet de la drogue, il accepta de se sacrifier pour permettre la confection de talismans destinés à sauver des membres de sa propre famille. L'an passé, l'ancien ministre de la Défense et numéro 2 du régime, fut arrêté à Monrovia pour avoir commis un meurtre rituel. Non loin de son domicile, on retrouva le cadavre de Melvin Pyne, un policier, décapité, vidé de son sang, le coeur et le sexe arrachés. Selon l'enquête de la police et d'après ses propres aveux, le général G.A aurait organisé ce sacrifice pour fournir à un féticheur de quoi lui fabriquer un talisman lui permettant d'accéder au pouvoir suprême. Des amis me disent qu'il existe en Europe même, un trafic clandestin de chair humaine destiné aux pratiques de sorcellerie. Nombre de personnes disparues et jamais retrouvées serviraient à alimenter ce marché lucratif. Je n'ose y croire.